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même genre qui me revinrent tout à coup à la mémoire. Il m’avait dit quelque temps auparavant que la connaissance du monde était innée chez le vrai poëte, et que pour le peindre il n’avait besoin ni de grande expérience ni de longues observations. « J’ai écrit mon Gœtz de Berlichingen, disait-il, quand j’avais vingt-deux ans, et dix ans plus tard j’étais étonné de la vérité de mes peintures. Je n’avais rien connu par moi-même, rien vu de ce que je peignais, je devais donc posséder par anticipation la connaissance des différentes conditions humaines. En général, avant de connaître le monde extérieur, je n’éprouvais de plaisir qu’à reproduire mon monde intérieur. Lorsque plus tard j’ai vu que le monde était réellement comme je l’avais pensé, il m’ennuya, et je perdis toute envie de le peindre. Oui, je peux le dire, si pour peindre le monde j’avais attendu que je le connusse, ma peinture serait devenue un persiflage[1] »

Une autre fois il disait : « Il y a dans les caractères une certaine nécessité, certains rapports qui font que tel trait principal entraîne tels traits secondaires. On apprend cela fort bien par l’expérience, mais, chez certains individus, cette science peut être innée. Je ne veux pas chercher si cette science est en moi innée ou acquise, mais ce que je sais, c’est que, si j’ai parlé à quelqu’un un quart d’heure, je le laisserai à son tour parler deux heures. »

C’est ainsi que Goethe disait de Byron que le monde était pour lui transparent, et qu’il pouvait le peindre par

  1. Il me semble que l’on pénétrera bien la pensée de Goethe en se rappelant les romans de M. Mérimée, « le favori » de Goethe. Ses peintures de la vie sont fines et exactes, mais ne sont-elles pas un continuel persiflage ?