Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/176

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Britannique, et vraiment quand on pense quelle image offrent ces deux jeunes filles courant à l’envi, à toutes jambes et les pieds dans la poussière[1], il faut bien convenir que le bon Klopstock n’a rien eu de vivant devant les yeux ; il ne s’est pas représenté par les sens ce qu’il faisait, car il n’aurait pas pu se méprendre à ce point. »

Je demandai à Goethe quels avaient été pendant sa jeunesse ses rapports avec Klopstock et quelle était alors son opinion sur lui.

« Je le vénérais, a-t-il dit, avec toute la piété que j’avais en moi ; je le considérais comme un ancêtre. J’éprouvais devant ses œuvres un respect religieux, et je n’avais pas l’idée de les examiner ou de les critiquer. J’ai laissé ses beautés agir sur moi, en suivant d’ailleurs ma voie particulière. »

Nous revînmes à Herder, et je demandai à Goethe quel était selon lui son chef-d’œuvre : « C’est sans contredit, me répondit-il, l’ouvrage intitulé : Idées sur l’histoire de l’humanité. Plus tard, son esprit prit une tournure négative et perdit par là ses qualités. »

— Je ne peux comprendre, dis-je alors, comment un homme aussi considérable que Herder semble avoir eu, dans certaines circonstances, si peu de jugement. Je ne peux, par exemple, lui pardonner, surtout en pensant dans quel état était alors la littérature allemande, de vous avoir renvoyé le manuscrit de Gœtz de Berlichingen couvert d’observations moqueuses, et sans vouloir recon-

  1. Madame de Staël, qui n’avait pas l’imagination si délicate, si athénienne de Goethe, a traduit cette ode sans être le moins du monde choquée, Elle a trouvé « fort heureux » ce que Goethe trouve ridicule. Plus le goût est parfait, plus facilement il reçoit de vives blessures.