Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/206

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l’illimité n’aurait pas pu devenir pour lui si fatal, avec une naissance et une fortune plus modestes ; mais comme il pouvait exécuter toutes ses fantaisies, il était entraîné sans fin dans d’inextricables embarras[1]. Et comment demander des égards, comment imposer des conditions à quelqu’un qui est dans une si haute position ? Il exprimait toutes les idées qui s’élevaient en lui, et s’engageait ainsi dans un conflit sans terme avec le monde. — On est bien étonné quand on voit la part énorme que prennent dans la vie d’un Anglais riche et noble les séductions et les duels. Lord Byron raconte lui-même que son père a séduit trois femmes. Ayez avec cela un fils raisonnable ! Il a toujours vécu, pour dire le mot, dans l’état de nature, et, avec sa manière d’être, il devait tous les jours être tout près de se mettre en état de défense personnelle ; de là son éternel tir au pistolet[2]. Il devait s’attendre à tout moment à être provoqué. — Il ne pouvait pas vivre seul ; aussi, malgré toutes ses singularités, il était extrêmement indulgent pour sa société. Un soir, il lit la magnifique poésie sur la mort du général Moore, et ses nobles amis ne savent pas trop quoi lui dire. Cela ne l’émeut pas, et il rempoche son manuscrit. C’est se montrer, comme poète, un vrai mouton. Un autre les aurait donnés au diable ! »

Mercredi, 20 avril 1825.

Goethe m’a montré ce soir la lettre d’un jeune étudiant qui lui demande quel est son plan pour la seconde

  1. « Il est singulier que je n’aie jamais désiré sérieusement une chose sans l’obtenir et sans m’en repentir après. » (Mémoires de lord Byron.)
  2. « Nous arrivâmes à une ferme où Byron s’exerce au pistolet tous les soirs. C’est son amusement favori, c’est peut être encore plus une étude. Il a toujours des pistolets aux arçons de sa selle, et son courrier en porte