Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/207

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partie de Faust, parce qu’il a l’intention de finir de son côté cet ouvrage. Il exprime ses vues et ses désirs tout simplement, avec bonhomie et sincérité, et dit aussi, sans le moindre déguisement, que les efforts des autres écrivains contemporains ne sont, à la vérité, qu’un pur néant, mais qu’avec lui va fleurir dans toute sa fraîcheur une nouvelle littérature. Si je rencontrais dans la vie un jeune homme se disposant à continuer la conquête du monde commencée par Napoléon, ou un jeune amateur d’architecture, se préparant à terminer la cathédrale de Cologne, je ne serais pas plus surpris et je ne les trouverais pas plus fous et plus ridicules que ce jeune amateur de vers qui a assez d’illusions pour écrire, sans qu’on l’y force, la seconde partie de Faust. Je tiens même pour plus possible de finir la cathédrale de Cologne que de continuer le Faust dans les idées de Goethe. Car on peut mesurer mathématiquement cette cathédrale, elle est devant nos sens ; nos yeux la voient, nos mains la touchent, mais avec quel cordeau, avec quelle règle atteindra-t-on cette œuvre invisible de l’esprit, qui a sa base dans le cerveau de son créateur, pour la création de laquelle tout repose sur la manière de voir les objets, dont les matériaux ont nécessité pour être réunis une vie entière, et dont l’exécution exige cette habileté technique consommée que l’artiste n’acquiert qu’après des années ? Celui qui peut croire une pareille entreprise aisée, possible même, n’a certainement qu’un très-mince talent, car il n’a aucune idée de ce qui est élevé et difficile ; on peut soutenir que si Goethe avait terminé son

    huit ou dix paires faites par les meilleurs armuriers de Londres… Nous tirâmes chacun douze coups, et il logea onze balles dans un rond de quatre pouces de diamètre… » etc. (Conversations de lord Byron, p. 131.)