Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/225

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fut donc accueillie par une approbation générale, mais il s’éleva un léger doute : cela plairait-il à la cour ?

« La cour de Weimar, dit Goethe, a trop de sagesse et de bonté pour empêcher une mesure qui tend au bien de la ville et d’un établissement important. La cour fera volontiers ce petit sacrifice et remettra à un autre jour ses soirées du dimanche. Si cela ne convient pas, il y a pour le dimanche assez de pièces que la cour n’a pas le désir de voir, qui sont tout à fait appropriées à la classe populaire et qui rempliront très-bien la caisse. »

On parla ensuite de l’abus que l’on faisait des forces des comédiens.

« Dans ma longue pratique, dit Goethe, j’ai considéré comme un point capital de ne jamais mettre à l’étude une pièce et surtout un opéra pour lesquels je ne pouvais prévoir avec une certaine assurance un succès de plusieurs années. Personne ne pense assez à la dépense de forces que demande l’étude d’une pièce en cinq actes et surtout d’un opéra de même longueur. Oui, mes amis, il faut bien du travail avant qu’un chanteur puisse tenir sa partie pendant toute une pièce, et il en faut énormément avant que les chœurs marchent convenablement. Je frémis quand je vois avec quelle légèreté on donne souvent l’ordre de mettre à l’étude un opéra sur le succès duquel on ne sait rien et dont on n’a entendu parler que par quelques nouvelles très-incertaines de journaux. Nous possédons maintenant en Allemagne une poste passable, et même nous commençons à avoir des malles-poste ; pourquoi, à la nouvelle d’un opéra donné avec succès, ne pas envoyer le régisseur ou un autre acteur sur qui verrait par ses yeux si l’opéra est vraiment bon et si nos forces sont suffisantes pour le jouer ? Les