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Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/236

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valet des princes ! comme si cela avait un sens ! Est-ce que par hasard je sers un tyran, un despote ? Est-ce que je sers un de ces hommes qui ne vivent que pour leurs plaisirs en les faisant payer à un peuple ? De tels princes et de tels temps sont, Dieu merci, loin derrière nous. Le lien le plus intime m’attache depuis un demi-siècle au grand-duc, avec lui j’ai pendant un demi-siècle lutté et travaillé, et je mentirais si je disais que je sais un seul jour où le grand-duc n’a pas pensé à faire, à exécuter quelque chose qui ne serve pas au bien du pays, et qui ne soit pas calculé pour améliorer le sort de chaque individu. Pour lui personnellement, qu’a-t-il retiré de son rôle de prince, sinon charges et fatigues ? Est-ce que sa demeure, son costume, sa table, sont plus brillants que chez un particulier aisé ? Que l’on aille dans nos grandes villes maritimes, on verra la cuisine et le service d’un grand négociant sur un meilleur pied que chez lui. Nous célébrerons cet automne le cinquantième anniversaire du jour où il a commencé à gouverner et à être le maître. Mais ce maître, quand j’y pense vraiment, qu’a-t-il été tout ce temps, sinon un serviteur ? Le serviteur d’une grande cause : le bien de son peuple ! S’il faut donc à toute force que je sois un serviteur des princes, au moins ma consolation c’est d’avoir été le serviteur d’un homme qui était lui-même serviteur du bien général[1]. »

  1. C’est le lendemain, 28 avril, que M. Cousin, revenant de Berlin, où il avait eu des « aventures » que l’on connaît, fit sa seconde visite à Goethe, qui, quoique souffrant, tint à le recevoir et à « donner un témoignage public d’intérêt à l’ami de Hegel. » Dans les quelques paroles de Goethe que M. Cousin rapporte, on reconnaît plusieurs idées exprimées dans les conversations avec Eckermann.