Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/235

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plaisir. La lettre de Zelter était encore sur la table. « Il est étrange, bien étrange, dit-il, de voir avec quelle facilité on peut être méconnu par l’opinion publique. Je ne sais pas avoir jamais péché contre le peuple, mais maintenant, c’est décidé, une fois pour toutes ; je ne suis pas un ami du peuple ! Oui, c’est vrai, je ne suis pas un ami de la plèbe révolutionnaire, qui cherche le pillage, le meurtre et l’incendie ; qui, sous la fausse enseigne du bien public, n’a vraiment devant les yeux que les buts les plus égoïstes et les plus vils. Je suis aussi peu l’ami de pareilles gens que je le suis d’un Louis XV. Je hais tout bouleversement violent, parce qu’on détruit ainsi autant de bien que l’on en gagne. Je hais ceux qui les accomplissent aussi bien que ceux qui les ont rendus inévitables. Mais pour cela, ne suis-je pas un ami du peuple ? Est-ce que tout homme sensé ne partage pas ces idées ? Vous savez avec quelle joie j’accueille toutes les améliorations que l’avenir nous fait entrevoir. Mais, je le répète, tout ce qui est violent, précipité, me déplaît jusqu’au fond de l’âme, parce que ce n’est pas conforme à la nature. Je suis un ami des plantes, j’aime la rose comme la fleur la plus parfaite que voie notre ciel allemand, mais je ne suis pas assez fou pour vouloir que mon jardin me la donne maintenant, à la fin d’avril. Je suis content, si je vois aujourd’hui les premières folioles verdir ; je serai content quand je verrai de semaine en semaine la feuille se changer en tige, j’aurai de la joie à voir en mai le bouton, et enfin, je serai heureux quand juin me présentera la rose elle-même dans toute sa magnificence et avec tous ses parfums. Celui qui ne veut pas attendre, qu’il aille dans une serre chaude.

« On répète que je suis un serviteur des princes, un