Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/25

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à le rectifier sur ce point essentiel, que les Entretiens m’auront servi :

« Sortons un peu, disais-je, de nos habitudes françaises pour nous faire une idée juste de Goethe. Personne n’a mieux parlé que lui de Voltaire même, ne l’a mieux défini et compris comme le type excellent et complet du génie français ; tâchons à notre tour de lui rendre la pareille en le comprenant, lui, le type accompli du génie allemand. Goethe est, avec Cuvier, le dernier grand homme qu’ait vu mourir le siècle. Le propre de Goethe était l’étendue, l’universalité même. Grand naturaliste et poëte, il étudie chaque objet et le voit à la fois dans la réalité et dans l’idéal ; il l’étudié en tant qu’individu, et il l’élève, il le place à son rang dans l’ordre général de la nature ; et cependant il en respire le parfum de poésie que toute chose recèle en soi. Goethe tirait de la poésie de tout ; il était curieux de tout. Il n’était pas un homme, pas une branche d’étude dont il ne s’enquit avec une curiosité, une précision qui voulait tout en savoir, tout en saisir, jusqu’au moindre repli. On aurait dit d’une passion exclusive ; puis, quand c’était fini et connu, il tournait la tête et passait à un autre objet. Dans sa noble maison, dans ce cabinet qui avait au frontispice ce mot : Salve, il exerçait l’hospitalité envers les étrangers, les recevant indistinctement, causant avec eux dans leur langue, faisant servir chacun de sujet à son étude, à sa connaissance, n’ayant d’autre but en toute chose que l’agrandissement de son goût ; serein, calme,