Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/255

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vail, qu’il les rende toutes égales. Je suis sûr que Preller réussira dans les sujets sérieux[1], grandioses, sauvages aussi peut-être ; mais s’il sera aussi heureux dans les sujets sereins, gracieux et aimables, c’est une question. Voilà pourquoi je lui ai vanté surtout Claude Lorrain, pour que par l’étude il s’approprie ce qui peut-être n’est pas chez lui une disposition naturelle. Je lui ai aussi fait une autre remarque. Jusqu’à présent j’ai vu de lui beaucoup d’études d’après nature. Elles étaient excellentes, conçues avec vie et énergie, mais c’étaient seulement des objets isolés qui plus tard nous servent peu dans nos compositions originales. Je lui ai conseillé de ne jamais dessiner désormais d’après nature un objet isolé, un arbre seul, un monceau de pierres seul, une chaumière seule, mais de prendre toujours avec l’objet le fond et les accessoires environnants. Car dans la nature nous ne voyons jamais rien dans l’isolement, nous voyons toujours un objet en rapport avec ce qui est devant, à côté, derrière, au-dessus, au-dessous. Un objet isolé peut nous sembler pittoresque, mais ce qui a produit de l’effet sur nous, ce n’est pas l’objet seul, c’est l’objet dans les relations qu’il a avec tout ce qui est autour, au-dessous et au-dessus de lui, tout concourt à l’effet. Ainsi, dans une promenade je rencontre un chêne dont l’effet pittoresque me surprend. Si je le dessine seul, il ne me paraîtra peut-être plus du tout comme je le voyais, parce que tout ce qui dans la nature produisait l’effet, le soutenait, le relevait, manque. Une partie de bois peut être belle, parce que ce

  1. En effet, M. Preller a donné, entre autres compositions sérieuses et grandioses, une fort remarquable série de dessins sur les principales scènes de l’Odyssée.