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être bien contents qu’il y ait là deux gaillards sur lesquels on peut disputer. »

Lundi, 5 juin 1825.

Goethe m’a appris que Preller[1] venait de prendre congé de lui pour aller passer quelques années en Italie.

« En guise de bénédictions pour son voyage, dit Gœthe, je lui ai donné ce conseil, de ne pas se laisser dérouter, et de se tenir constamment à Poussin et à Claude Lorrain ; avant tout, d’étudier les œuvres de ces deux grands maîtres, pour bien comprendre comment ils ont regardé la nature et comment ils s’en sont servis pour exprimer leurs visions et leurs émotions artistiques. Preller est un talent remarquable, et je ne suis pas inquiet de lui. Il me paraît d’un caractère très-sérieux et je suis presque sûr qu’il se sentira attiré vers Poussin plutôt que vers Claude Lorrain. Cependant je lui ai recommandé l’étude spéciale du dernier et ce n’est pas sans raison. Car il en est de la formation de l’artiste comme de la formation de tout autre talent. Nos forces vraies se développent pour ainsi dire d’elles-mêmes, mais ces germes et ces dispositions de notre nature qui ne s’élèvent pas chaque jour en nous et qui ne sont pas si énergiques, demandent une culture particulière, pour qu’elles parviennent à une puissance égale. Ainsi, comme je l’ai souvent répété, un jeune chanteur peut avoir certaines notes innées tout à fait excellentes et qui ne laissent rien à désirer ; mais, il aura d’autres notes moins fortes, moins pures, moins pleines. Il faut, par le tra-

  1. Peintre de Weimar, directeur de l’Académie.