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sujet. Je manquais alors de sujets, et j’étais heureux de trouver quelque chose à chanter. Encore ces jours-ci, il m’est tombé entre les mains une poésie de ce temps écrite en anglais[1] et dans laquelle je me plains de manquer de sujets. C’est là aussi un grand malheur pour nous autres, Allemands ; notre histoire primitive est dans un lointain trop obscur, et plus tard, l’absence d’une dynastie nationale lui ôte tout intérêt général. Klopstock s’est essayé à Arminius, mais c’est un sujet trop éloigné ; on n’a rien de commun avec ce temps, on ne sait ce qu’il vient nous dire, et sa peinture est restée sans effet, sans popularité. J’ai fait un essai heureux avec mon Gœtz de Berlichingen ; c’était déjà nous-mêmes que nous voyions-là, et on pouvait tirer un bon parti de cette époque.

« Avec Werther et Faust au contraire, c’est dans mon cœur qu’il me fallut de nouveau tout puiser, ce que l’on me donnait ne me menait pas loin ; je me servis une fois du diable et des sorciers, puis, satisfait d’avoir ainsi mangé mon héritage d’enfant du Nord, j’allai m’asseoir à la table des Grecs. Mais si j’avais connu, comme je les connais maintenant, toutes les œuvres parfaites qui existent chez eux depuis des centaines et des milliers d’années, je n’aurais jamais écrit une seule ligne ; j’aurais employé autrement mon activité. »

Jour de Pâques, 26 mars 1826.

Goethe était aujourd’hui à dîner de l’humeur la plus sereine et la plus cordiale. Il avait reçu un envoi précieux : c’était le manuscrit de la dédicace du Sardanapale de

  1. Goethe, à Strasbourg, a aussi composé une curieuse pièce de vers en français. — Voir Lewes, 1er  vol., p. 87 ; 2e  édit.