Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/284

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Goethe se mit à rire. « Vous n’avez pas tout à fait tort, dit-il, et il faut avouer que le poëte en dit plus que l’on ne voudrait ; il dit la vérité, mais elle blessera, et on aimerait mieux le voir la bouche close. Il y a des choses dans le monde que le poëte fait mieux de bien cacher que de découvrir, mais c’est là le caractère de Byron, et le vouloir autrement, ce serait le détruire. » — « Oui, dis-je, c’est excessivement spirituel ; par exemple ce passage :

Le diable dit la vérité bien plus souvent qu’il ne semble :
Il a un auditoire ignorant.

« — Cela est certes aussi grand et aussi libre que tout ce que mon Méphistophélès a jamais dit. Puisque nous parlons de Méphistophélès, je veux vous montrer quelque chose que Coudray m’a rapporté de Paris ; que dites-vous de cela ? »

Il me présenta une lithographie représentant la scène où Faust et Méphistophélès, pour délivrer Marguerite de la prison, glissent en sifflant dans la nuit sur deux chevaux, et passent près d’un gibet. Faust monte un cheval noir, lancé à un galop effréné, et qui paraît, comme son cavalier, s’effrayer des spectres qui passent sous le gibet. Ils vont si vite que Faust a de la peine à se tenir. Un vent violent vient à sa rencontre, et a enlevé sa toque qui, retenue à son cou par un cordon, flotte loin derrière lui. Il tourne vers Méphistophélès un visage plein d’anxiété et semble épier sa réponse. Méphistophélès est tranquille, sans crainte, comme un être supérieur. Il ne monte pas un cheval vivant : il n’aime pas ce qui vit. Et d’ailleurs il n’en a pas besoin ; sa volonté suffit pour l’entraîner aussi vite que le vent. Il n’a un