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n’ont pas d’organe pour la respecter, elle leur est intolérable. »

Jeudi soir, 4 janvier 1827.

Goethe a beaucoup loué les poésies de Victor Hugo. « Il a dit : C’est un vrai talent, sur lequel la littérature allemande a exercé de l’influence. Sa jeunesse poétique a été malheureusement amoindrie par le pédantisme du parti classique, mais maintenant le voilà qui a le Globe pour lui : il a donc partie gagnée[1]. Je le comparerais avec Manzoni. Il a une grande puissance pour voir la nature extérieure, et il me semble absolument aussi remarquable que MM. de Lamartine et Delavigne[2]. En examinant bien, je vois d’où lui et tous les nouveaux talents du même genre viennent. Ils descendent de Chateaubriand, qui, certes, est très-remarquable par son talent rhétorico-poétique. Pour voir comment écrit Victor Hugo, lisez seulement ce poëme sur Napoléon : Les Deux îles. » — Goethe me tendit le livre, et resta près du poêle. Je lus. — « N’a-t-il pas d’excellentes images ? dit Goethe, et n’a-t-il pas traité son sujet avec une liberté d’esprit complète ? » — Et en parlant ainsi, il revint vers moi : — « Voyez ce passage,

  1. L’article du Globe, du 2 janvier 1827, que Goethe venait de lire, est de M. Sainte-Beuve. Cet article, consacré à la critique des Odes et Ballades, tout en saluant le génie qui éclate dans maint passage, indique avec une finesse prophétique quels sont les penchants dangereux contre lesquels le poète doit se mettre en garde pour l’avenir. — Dans le mois de novembre 1826, le Globe avait déjà extrait du troisième recueil de poésies de V. Hugo, qui allait paraître, la Fée et la Péri, les Deux Iles et le Chant de fête de Néron.
  2. En 1827, Victor Hugo était encore un débutant que l’on traitait comme un jeune homme d’espérance ; au contraire, Casimir Delavigne était depuis longtemps célèbre, et on reconnaissait en lui le chef de l’école classique. La comparaison entre les deux écrivains n’a donc, à cette époque, rien que de naturel.