Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/305

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poëte l’avait voulu. En même temps, le style était si maître de lui-même, si sûr, si réfléchi, que l’on ne pouvait rien pressentir de l’avenir et qu’on ne voyait rien au delà de la ligne que l’on lisait. — « Votre Excellence, dis-je, doit avoir travaillé sur un plan bien arrêté ? » — « Oui, très-arrêté ; il y a plus de trente ans que je voulais traiter ce sujet, et depuis ce temps je le porte dans ma tête. L’histoire de son exécution est singulière. Autrefois (c’était immédiatement après Hermann et Dorothée), je voulais traiter le sujet dans la forme épique, en hexamètres, et j’avais dans ce but ébauché un plan détaillé. Quand je voulus dernièrement reprendre mon projet, je ne pus trouver mon ancien plan, et je fus obligé d’en faire un nouveau, et celui-là, en harmonie avec la nouvelle forme que j’étais dans l’intention de donner au sujet. Mais voilà que lorsque tout est fini, je retrouve mon ancien plan, et je suis content maintenant de ne pas l’avoir eu auparavant entre les mains, car il n’aurait pu que m’embrouiller. L’action et la marche du développement étaient les mêmes dans les deux plans, mais le premier était entièrement conçu pour une épopée en hexamètres, et par conséquent il n’était pas possible de s’en servir pour un récit en prose. »

« — Une belle situation, dis-je, se présente quand Honorio est près du tigre étendu mort en face de la princesse ; on voit arriver alors, avec son enfant, la maîtresse des animaux pleurant et gémissant, et le prince avec sa suite, venant d’un autre côté, s’approche rapidement de ce groupe étrange. Cela ferait un excellent tableau que j’aimerais bien voir exécuté. »

« — À coup sûr, dit Goethe, ce serait un beau tableau ; cependant, continua-t-il après un peu de réflexion,