Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/314

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Toujours on brandira les vieux balais
Et toujours enfants nouveaux naîtront !

« Je n’ai qu’à regarder par mes fenêtres[1] pour voir constamment sous mes yeux dans les enfants qui courent avec leurs balais le symbole du monde qui éternellement s’use et toujours se rajeunit. C’est ainsi que les jeux d’enfants, les plaisirs de la jeunesse se conservent et se perpétuent de siècle en siècle ; car, si absurdes qu’ils puissent paraître à l’âge mûr, les enfants sont pourtant toujours des enfants, et ceux de tous les siècles se ressemblent. Ainsi il ne faut pas défendre les feux de la Saint-Jean et ne pas ôter leur joie aux chers enfants. »

Ainsi passa en gais entretiens le temps du dîner. Puis nous tous, jeunes gens, sommes montés dans l’appartement supérieur ; le chancelier est resté avec Goethe.

Jeudi soir, 18 janvier 1827.

Goethe m’avait promis pour ce soir la fin de la Nouvelle. J’allai à six heures et demie chez lui et je le trouvai seul, renfermé dans son cabinet de travail. Je m’assis près de lui à sa table, et après que nous eûmes causé des événements du jour, Goethe se leva et me donna les dernières feuilles désirées. « Voilà ! lisez la fin ! » dit-il. Je commençai. Pendant ce temps, Goethe se promenait dans la chambre et s’arrêtait de temps en temps près du poêle. Comme d’habitude, je lisais tout bas et pour moi. On sait quelle est la fin ; le lion qui semblait si effrayant laisse, au contraire, approcher de lui un enfant,

  1. Elles donnent sur une place appelée alors place des Dames, et aujourd’hui place Goethe. Au milieu de cette place est une fontaine qui donne la meilleure eau de la ville, et autour de laquelle sont souvent réunis de nombreux groupes de servantes. Sans sortir de chez lui, Goethe pouvait satisfaire ses goûts d’observateur.