Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/316

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et se termine enfin par une fleur. La fleur était inattendue, c’est une surprise, mais qui devait venir, et même tout cet édifice de verdure n’était construit qu’à cause d’elle, et elle seule pouvait être le motif suffisant de ce long travail. »

Ces paroles me firent respirer de nouveau ; des écailles me tombaient des yeux, et un pressentiment de l’excellence de cette composition étrange commença à s’élever en moi.

Goethe continua : « Montrer qu’une humeur farouche et sauvage est plus souvent domptée par l’amour et par la piété profonde que par la force, tel était le but de cette Nouvelle ; et c’est la beauté de ce but qui m’a entraîné à cette peinture du lion et de l’enfant. Cette intention est la partie idéale de la Nouvelle, la fleur ; toute l’exposition, tous les détails empruntés à la réalité ne sont que le feuillage qui la soutient, et il n’existe que pour elle, il n’a de valeur que par elle. Qu’est-ce, en effet, que la réalité ? Nous aimons à la voir retracée avec vérité ; elle peut même, dans ses reproductions, être l’occasion pour nous de prendre de certaines choses une connaissance plus précise. Mais cependant c’est seulement dans la partie idéale, celle qui a jailli du cœur du poète, que ce qu’il y a de plus élevé dans notre nature trouve vraiment à gagner. »

Je sentis vivement combien Goethe avait raison, car la conclusion de sa Nouvelle avait prolongé son effet sur moi, et m’avait rempli l’âme de sentiments de pieuse douceur que je n’avais pas éprouvés à ce degré depuis longtemps. Et je pensais en moi-même : « Avec quelle pureté et quelle profondeur le poëte, à un âge si avancé, doit encore tout sentir pour écrire une œuvre aussi