Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/32

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’est qu’un jeu de société assez original et amusant, un passe-temps de dilettanti, qui entretient dans ce cercle l’activité de l’esprit et sauve des commérages. Enfin, indépendamment d’un secrétaire attitré, Goethe fait l’acquisition d’Eckermann, qui va devenir son confident, son Ali (l’Ali de Mahomet), son fidus Achates. Ce rôle est connu, mais personne ne l’a jamais mieux rempli, plus honnêtement, plus loyalement, avec plus de bonhomie. Eckermann donne la réplique au maître, ne le contredit jamais, et l’excite seulement à causer dans le sens où il a envie de donner ce jour-là : avec lui Goethe causera de lui-même, de la littérature contemporaine en Allemagne, en Angleterre, en Italie, en France, en Chine, partout ; et après des années d’un commerce intime, il lui rendra ce témoignage qui fait aujourd’hui sa gloire :

« Le fidèle Eckart est pour moi d’un grand secours. Il conserve sa manière de voir pure et droite, et il augmente tous les jours ses connaissances ; sa pénétration, l’étendue de sa vue s’agrandissent ; l’excitation qu’il me donne par la part qu’il prend à mes travaux me le rend inappréciable[1]. »

Et c’est ainsi que s’était complété autour du grand esprit de Weimar ce ministère général de l’intelligence dont il était le régulateur et le président ; ou, si l’on aime mieux, on y peut voir un petit système planétaire très-bien monté, très-bien entendu, dont il était le soleil.

On n’a plus maintenant qu’à ouvrir le livre d’Ecker-

  1. Lettre de Goethe à Zelter, du 14 décembre 1830.