Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/331

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là une beauté, me dit Goethe, car le poëme laisse ainsi l’aiguillon au cœur, et l’imagination du lecteur est excitée à rêver toutes les possibilités qui peuvent naître. Il y a dans cette conclusion matière à toute une tragédie, mais à une tragédie comme il en existe déjà beaucoup ; au contraire, toutes les belles peintures du poëme lui-même sont entièrement nouvelles et le poëte a fait très-sagement de donner tous ses soins à ces peintures en laissant les autres au lecteur. Je publierais bien ce poëme dans l’Art et l’Antiquité, mais il est trop long ; j’ai demandé à Gerhard ces trois pièces rimées, que je publierai dans la prochaine livraison[1]. Que dites-vous de celle-ci, écoutez. » — Et Goethe lut le chant du Vieillard qui aime une jeune fille, puis le Chant à boire des femmes, et enfin, le chant énergique : Danse devant nous, Théodore ! — Il lisait chaque poésie avec un ton et des inflexions toutes différentes, et on ne pourrait guère entendre une lecture plus parfaite.

Nous fîmes l’éloge de M. Gerhard, qui avait si bien réussi dans le choix des rhythmes et des refrains, et écrit avec tant de facilité et de perfection que l’on ne savait pas comment il aurait pu mieux faire. — « On voit, dans un talent comme Gerhard, dit Goethe, ce que peut une longue pratique. Et ce qui l’aide, c’est qu’il n’a pas une profession savante ; ce qu’il fait le ramène sans cesse à la vie pratique. Il a aussi beaucoup voyagé en Angleterre et dans d’autres pays, ce qui, avec son goût naturel pour la réalité, lui donne maints avantages sur nos jeunes poètes pleins de science. S’il se borne toujours à mettre en vers

  1. Voir Art et Antiquité, VI, 143, et le recueil de chants serbes, publié par Gerhard. (Leipzig, 1828, Ier vol., p. 109.).