Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/339

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dant encore sourde et muette, c’est là une méthode de changements que je ne peux louer. »

Jeudi soir, 1er février 1827.

Goethe m’a raconté une visite que lui a faite le prince héréditaire de Prusse, accompagné du grand-duc. — « Les princes Charles et Guillaume de Prusse sont aussi venus ce matin chez moi. Le prince héréditaire, avec le grand-duc, est resté environ trois heures, nous avons parlé de maintes choses et j’ai pris une haute opinion de l’esprit, du goût, des connaissances et de la manière de penser de ce jeune prince. »

Goethe avait devant lui un volume de la Théorie des couleurs. « Je vous dois toujours, dit-il, une réponse au phénomène de l’ombre colorée. Mais, comme cette réponse suppose beaucoup de connaissances et est liée à beaucoup d’autres idées, je ne veux pas aujourd’hui vous donner une explication qui serait détachée violemment de l’ensemble ; j’ai pensé au contraire qu’il serait bon de passer les soirées où nous sommes réunis à lire ensemble toute la théorie des couleurs. Nous aurons toujours ainsi un sujet solide d’entretien, et vous même, sans vous en apercevoir, vous vous assimilerez toute la théorie. Ce que vous avez appris commence déjà à vivre en vous, et à devenir créateur, ce qui me fait pressentir que la science entière deviendra très-vite votre propriété. Lisez donc le premier chapitre[1]. »

En disant ces mots, Gœthe me tendait le livre ouvert. Je me sentis très-heureux des bonnes intentions qu’il

  1. Le pauvre Goethe, dont les idées sur les couleurs avaient été si mal accueillies, semble ici, en désespoir de cause, s’emparer d’Eckermann pour avoir au moins dans le monde un disciple sûr et reconnaissant.