Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/351

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naturellement, cela ne lui est plus possible, et il s’est peu à peu formé une manière de penser et une manière de s’exprimer si artificielles et si pénibles que dans son livre on tombe sur des passages où notre intelligence reste arrêtée et où on ne sait plus ce qu’on lit. » — « Je ne m’en suis pas mieux tiré non plus, dis-je. Mais cependant j’ai eu le plaisir de rencontrer des passages qui m’ont semblé tout à fait humains et clairs, par exemple sa relation de la fable d’Œdipe. » — « Là, il devait se tenir fortement au sujet. Mais il y a dans son livre des passages, et non pas en petit nombre, où la pensée ne marche pas, n’avance pas, et où des mots obscurs se meuvent toujours dans le même espace et dans un même cercle, absolument comme mes sorcières de Faust, quand elles comptent. Donnez-moi un peu le livre ! De la sixième leçon sur le chœur je n’ai, pour ainsi dire, rien compris[1]. Que dites-vous, par exemple, de ceci qui vient vers la fin : « Cette réalité (la vie du peuple) est, à cause de sa propre et vraie signification, la vraie réalité, et, étant elle-même en même temps la vérité et la certitude, elle constitue pour cela la certitude intellectuelle générale, laquelle certitude est en même temps la certitude conciliative du chœur, de telle sorte que c’est seulement dans cette certitude (qui se montre comme le résultat de tout le mouvement de l’action tragique), que le chœur pour la première fois se montre proportionné à la conscience générale du peuple, et, comme tel, il ne représente plus

  1. Cet aveu de Goethe peut nous épargner en mainte occasion une grande perte de temps. Nous nous obstinons parfois à vouloir comprendre certains philosophes hégéliens ; si nous sommes sages, ne soyons pas si obstinés. Pour grande peine nous risquons fort de n’avoir que maigre salaire.