Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/352

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seulement le peuple, mais pour sa certitude il existe en lui-même et pour lui-même » Je crois que nous en avons assez ! — Qu’est-ce que les Anglais et les Français doivent penser du langage de nos philosophes, si nous-mêmes Allemands nous ne le comprenons pas. » — « Et malgré tout cela, dis-je, nous sommes d’accord pour reconnaître que le livre a au fond une noble intention et qu’il a le mérite de faire penser. » — « Son idée sur la famille et sur l’État, et sur les conflits tragiques qui peuvent en résulter, est certainement juste et féconde ; cependant je ne peux accorder qu’elle soit pour l’art tragique la meilleure ou même la seule bonne. Il est certain que nous vivons tous dans des familles et dans l’État, et il n’est pas facile qu’un sort tragique nous atteigne sans nous atteindre comme membres de la famille et de l’État. Cependant nous pouvons être d’excellents personnages tragiques en étant seulement membres d’une famille ou membres d’un État. Ce qu’il faut vraiment, c’est un conflit sans solution possible, et ce conflit peut naître de la contradiction de relations quelconques, pourvu que cette contradiction ait son fond dans la nature et soit une contradiction vraiment tragique. Ainsi Ajax tombe dans l’abîme entraîné par le démon de l’ambition trompée, Hercule par le démon de la jalousie amoureuse. Dans ces deux cas, il n’y a pas le moindre conflit entre l’amour pieux de la famille et la vertu civile, qui sont selon Hinrichs, les éléments de la tragédie grecque. »

« — On voit bien, dis-je, que dans cette théorie il ne pensait qu’à Antigone. Il semble aussi n’avoir eu devant les yeux que le caractère et la manière d’agir de cette héroïne, lorsqu’il a soutenu que l’amour pieux de la famille apparaît avec grande pureté dans l’épouse, et avec