Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/393

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mirer le temps et la nation qui les rendaient possibles plutôt que les auteurs mêmes. Car si ces pièces diffèrent un peu entre elles, si un poëte paraît un peu plus grand et un peu plus parfait que l’autre, cependant, vu d’ensemble, tout porte un même et unique caractère, répandu partout. C’est le caractère du grandiose, de la solidité, de la santé, de la perfection dans les limites de l’humanité, de la haute sagesse pratique de la vie, du sublime de la pensée, de l’observation des choses pure et forte, et que de qualités encore ne pourrait-on pas énumérer !… Et ces qualités ne se trouvent pas seulement dans les œuvres dramatiques qui nous sont parvenues, mais dans les œuvres lyriques et épiques ; nous les trouvons chez les philosophes, chez les orateurs, chez les historiens, et aussi à un degré égal dans les œuvres d’art encore existantes ; on doit donc être bien convaincu que ces qualités n’étaient pas le bien de quelques individus, mais qu’elles appartenaient à la nation, au temps tout entier, et qu’elles circulaient partout. — Prenez Burns. Pourquoi est-il devenu grand, sinon parce que les vieilles chansons de ses ancêtres vivaient dans la bouche du peuple, parce qu’elles lui ont été chantées pour ainsi dire autour de son berceau, parce qu’il a grandi, enfant, au milieu d’elles ? C’est ainsi que portant dans son être même ces modèles admirables, il a eu un point d’appui vivant qui l’a poussé plus loin. — Et quelle est encore sa grandeur, sinon d’avoir trouvé aussitôt, dans sa nation, des oreilles capables d’entendre les chansons nouvelles qu’il venait à son tour de composer ? Dans les champs, faucheurs et moissonneurs lui renvoyaient ses chansons ; dans les auberges, de gais compagnons l’en saluaient ! Là vraiment