Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/402

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sur divers sujets, entre autres sur les dévots à tête étroite que l’on rencontre dans certaines villes du nord de l’Allemagne[1] ; on remarqua que les sectes piétistes avaient désuni et séparé des familles entières. Je pouvais raconter un trait de ce genre : j’avais presque perdu un excellent ami, parce qu’il ne réussissait pas à me convertir à ses opinions. C’était un esprit qui croyait que les bonnes œuvres ne sont rien, et que c’est seulement par la grâce du Christ qu’un homme peut être aimé de Dieu.

« — Une de mes amies, dit madame de Goethe, m’a tenu un langage à peu près pareil, mais je n’ai jamais pu comprendre ce que signifient ces bonnes œuvres et cette grâce. »

« — Comme toutes les choses qui, aujourd’hui, circulent dans le monde et dans les conversations, celles-là ne sont aussi rien qu’un mauvais et vieux mélange. — Peut-être ne connaissez-vous pas leur origine ? Je peux vous la dire. La doctrine des bonnes œuvres, c’est-à-dire celle qui soutient que l’homme peut effacer ses péchés par la bienfaisance, les legs et les fondations pieuses, et conserver ainsi la grâce de Dieu, est la doctrine catholique. Les réformateurs, par opposition, ont rejeté cette doctrine et ils ont établi à sa place que l’homme ne doit chercher absolument et uniquement qu’à bien connaître les mérites du Christ et à se rendre digne de sa grâce, ce qui, en réalité, mène aussi aux bonnes œuvres. — Voilà les deux doctrines ; mais aujourd’hui tout est mêlé, confondu, et on ne sait plus d’où viennent toutes ces idées. »

Je pensai alors plutôt que je ne dis : « De tout temps les différences de croyances religieuses ont rendu les

  1. Le piétisme a eu à Berlin une de ses capitales