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de ces animaux. Singes et perroquets ne nous étonneraient plus, nous plairaient même, si nous-mêmes nous étions sous les palmiers, montés sur des éléphants. — Quant aux princes, ils ont raison d’effacer un souvenir fâcheux par une image plus fâcheuse. » — « Je me rappelle des vers, dis-je, que vous avez peut-être vous-même oubliés :

Si les hommes deviennent des brutes,
Qu’on amène des bêtes dans la chambre,
Les méchantes humeurs s’adouciront ;
Nous sommes tous ensemble fils d’Adam. »

Goethe rit et dit : « Oui, c’est bien cela. La grossièreté ne peut être chassée que par une grossièreté plus forte. Je me rappelle un trait des commencements de mon séjour ici. Il y avait encore parmi les nobles des gens d’une grossièreté très-bestiale, et un riche noble, à table, dans une excellente compagnie, tenait un jour en présence des dames des discours très-grossiers qui embarrassaient et fatiguaient tous ceux qui les entendaient. Les paroles ne pouvaient rien sur lui. Une personne distinguée, qui était assise en face de lui, fut assez résolue pour employer un autre moyen ; elle dit très-haut une très-grosse inconvenance ; tout le monde fit un saut, et le rustre, se sentant dépassé, n’ouvrit plus la bouche. Dès ce moment, à la joie universelle, l’entretien fut toujours gai avec grâce, et on sut grand gré à cette personne résolue de sa hardiesse inouïe, qui avait eu un si heureux résultat. »

Après avoir ri de cette anecdote, le chancelier nous parla de la nouvelle situation du parti ministériel et du parti de l’opposition à Paris ; il nous récita presque mot pour mot un discours énergique qu’un démocrate très-hardi[1] avait prononcé contre un ministre, en se défen-

  1. Voir le Courrier français du 3 juillet 1827. Le démocrate est M. de Kératry, le ministre attaqué est M. de Villèle. — M. de Kératry avait