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« — A-t-il, lui aussi, quelques traces de sentimentalité ? » demandai-je.

« — Aucune absolument. — Il y a du sentiment, mais de la sentimentalité, point. — Dans chaque situation, les émotions ressenties sont viriles et simples. Je ne veux rien vous dire de plus aujourd’hui ; je suis encore dans le premier volume, mais vous en entendrez bientôt davantage. »

Samedi, 21 juillet 1827.

Quand j’entrai ce soir dans la chambre de Goethe, je le trouvai lisant le roman de Manzoni. « Je suis déjà au troisième volume, dit-il en posant le livre, et j’ai bien des pensées nouvelles. Vous savez, Aristote dit que, pour qu’une tragédie soit bonne, elle doit exciter la crainte. Cela s’applique non pas seulement à la tragédie, mais à mainte autre poésie. Vous le vérifierez avec le Dieu et la Bayadère, et avec toute bonne comédie, dans l’intrigue du nœud ; vous le vérifierez même dans les Sept Jeunes Filles en uniforme[1], car nous ignorons comment la plaisanterie finira pour ceux qui la font. Cette crainte peut être de deux sortes : c’est de l’effroi, ou de l’inquiétude. Ce dernier sentiment s’élève en nous quand nous voyons un danger moral qui menace les personnages et se répand sur eux, comme par exemple dans les Affinités. Le lecteur ou le spectateur ressent de l’effroi quand les personnages sont menacés d’un danger physique, comme par exemple dans les Galériens[2] ou dans le Franc-Archer de Weber ; et même dans la scène de la Gorge du Loup[3],

  1. Comédie mêlée de couplets, de Louis Angely, souvent jouée à Weimar.
  2. Mélodrame en trois actes, traduit de St-Alderon par Théodore Hell (Winkler).
  3. Acte II, sc. viii. — Pourquoi le litre allemand Freyschütz a-t-il été traduit par Robin des Bois ?