Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/421

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trois mois. Ainsi j’avais déjà osé essayer de faire la connaissance de Goethe, même avant les flatteuses marques d’intérêt qu’il a été assez bon pour me donner en s’informant de moi.

« Pour tous les admirateurs du génie, il y a émotion et bonheur à voir une des plus grandes figures de l’Europe jouir d’une heureuse et honorable retraite à un âge où il se voit si grandement respecté. Un sort si favorable n’a pas, hélas ! été accordé au pauvre lord Byron, emporté dans la fleur de ses ans, avec tant d’œuvres que nous espérions et que nous attendions encore de lui. Il était heureux des honneurs que vous lui rendiez, et sentait quelle était sa dette envers un poëte à qui tous les écrivains de la génération actuelle doivent tant, que c’est pour eux un devoir de ne lever vers lui que des regards de religieux respect.

« J’ai pris la liberté de charger MM. Treuttel et Würtz[1] de vous envoyer le récit essayé par moi de la vie de cet homme curieux qui, pendant de si longues années, a eu une terrible influence sur le monde qu’il dominait. Du reste, je ne sais pas si je ne lui dois pas quelques obligations pour les douze années qu’il m’a forcé à passer sous les armes ; j’ai, pendant tout ce temps, servi dans un corps de notre milice, et, quoique paralysé de bonne heure, je suis devenu bon cavalier, bon chasseur et bon tireur. Dans ces derniers temps, j’ai un peu perdu ces beaux talents, car le rhumatisme, cette triste plaie de notre climat du Nord, a étendu son pouvoir sur mes membres. Mais je ne me plains pas, puisque depuis que j’ai dû renoncer aux plaisirs de la chasse, je peux voir mes fils en jouir.

  1. Éditeurs de la Vie de Napoléon.