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venir, et il est impossible de prévoir tout ce qu’il fera et toute l’influence qu’il exercera un jour. »

Lundi, 24 septembre 1827.

Avec Goethe à Berka[1]. Nous sommes partis un peu après huit heures ; la matinée était très-belle. — En montant la colline, comme la nature n’offre rien à contempler, Goethe parla de la littérature. Un poëte allemand de réputation avait passé ces jours-ci par Weimar, et il avait donné son album à Goethe : « Vous ne croiriez pas à la faiblesse de tout ce qu’il y a là dedans, me dit Gœthe. Tous ces poëtes écrivent comme s’ils étaient malades et comme si le monde entier était un lazaret. Tous parlent des souffrances et des misères de ce monde, et des joies de l’autre ; ils sont déjà mécontents, et, en écrivant dans ce livre, chacun cherche à être plus désolé que tous les autres. C’est là vraiment mésuser de la poésie, qui nous a été donnée pour faire disparaître les petits ennuis de la vie, et pour rendre l’homme content du monde et de son sort. Mais la génération actuelle a peur de toute énergie solide ; son esprit n’est à l’aise et ne voit la poésie que dans la faiblesse. — J’ai trouvé une bonne expression pour contrarier ces messieurs. Je veux appeler leur poésie poésie de lazaret ; au contraire la poésie qui, non-seulement, inspire les chants de guerre, mais qui arme de courage les hommes, pour lutter dans les combats de la vie, je l’appelle poésie tyrtéenne. »

Il y avait à nos pieds, dans la voiture, une corbeille en jonc, à deux anses, qui attira mon attention. « Je l’ai

  1. Petit village très-voisin de Weimar, dans une charmante vallée.