Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/434

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sentirais élevé par elles. Entre nous, elles n’étaient pour moi rien, rien du tout ! Nous autres patriciens de Francfort, nous nous sommes toujours tenus pour les égaux des nobles, et, quand je reçus le diplôme, j’eus dans les mains ce que depuis longtemps je possédais déjà en esprit. »

Après avoir encore bu un bon coup dans la coupe dorée, nous nous rendîmes au pavillon de chasse d’Ettersberg, en faisant le tour de la montagne. Goethe me fit ouvrir toutes les pièces, et me montra la chambre, à l’angle du premier étage, que Schiller avait habitée quelque temps. « Autrefois, me dit-il, nous avons passé ici plus d’une bonne journée. Nous étions tous jeunes, pétulants, et, l’été, c’étaient des comédies improvisées, l’hiver, des danses, des promenades en traîneaux aux torches, etc. — Je veux vous montrer le hêtre sur lequel, il y a cinquante ans, nous avons gravé nos noms. Comme tout a changé, comme tout a grandi !… Voilà l’arbre ! Vous voyez, il est encore magnifique ! On peut encore voir trace de nos noms, mais l’écorce s’est tellement resserrée et gonflée qu’on ne les découvre presque plus. Ce hêtre était alors tout seul au milieu d’une place libre et bien sèche. Le soleil resplendissait gaiement tout alentour, et c’était là que dans les beaux jours d’été, nous improvisions nos farces. Maintenant cet endroit est humide et désagréable. Les buissons se sont changés en arbres épais, et c’est à peine si on peut découvrir le magnifique hêtre de notre jeunesse !… »

Nous retournâmes alors au château, et, après avoir visité la collection d’armures, nous revînmes à Weimar.