Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/458

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se retirer ainsi, pour échapper à un moment douloureux[1].

1809[2].

Une après-midi, j’allai voir Goethe ; le temps était doux, je le trouvai dans son jardin. Il était assis devant une petite table de bois, sur laquelle était placée une fiole à longue encolure ; dans cette fiole s’agitait vivement un petit serpent, auquel il donnait de la nourriture au bout d’une plume et qu’il observait tous les jours. Il soutenait que ce serpent le connaissait déjà, et que, dès qu’il le voyait venir, il approchait sa tête au bord du verre. « Quels beaux yeux intelligents !… Cette tête annonçait bien des choses, mais les malheureux anneaux de ce corps maladroit ont tout arrêté en route. À cette organisation qui s’est produite toute en longueur, la nature est restée redevable de mains et de pieds, et cependant cette tête et ces yeux les méritaient bien ! Elle agit souvent ainsi, mais ce qu’elle a abandonné, elle le développe plus tard, quand les circonstances deviennent plus favorables. Le squelette de plus d’une bête marine nous montre clairement qu’au moment de sa composition, la nature avait la

  1. On voit que les amis de Goethe se conformaient à son principe ; il faut toujours cherchera rendre moins vive une douleur nécessaire ; toute émotion triste doit être renfermée dans l’être intime et ne pas se manifester au dehors, parce que, en se manifestant, elle s’aggrave et nous maîtrise ; or l’homme ne doit pas obéir à la douleur ; c’est la douleur qui doit obéir à l’homme.
  2. J’intercale ici un des principaux chapitres de Falk ; les conversations rapportées par ce nouveau confident sont bien antérieures à celles que rapporte Eckermann, cependant elles appartiennent à la même période de la vie de Goethe ; en 1809, Goethe avait déjà soixante ans. Il paraîtra peut-être intéressant au lecteur de comparer entre elles les idées que Goethe a exprimées à vingt ans de distance, au début et à la fin de sa vieillesse.