Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/461

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parés de fleurs et de fruits ! Pauvre serpent ! ils t’abandonnent ! Comme ils devraient au contraire s’intéresser à toi !… Comme il me regarde !… Comme il dresse sa tête ! Ne semble t-il pas qu’il comprenne que je le défends contre vous ?… Pauvre petit ! Il est là dans la fiole sans pouvoir sortir, comme il était jadis, quand la nature lui a donné son enveloppe trop étroite !… »

— Tout en parlant, Goethe avait tracé au crayon sur un papier qui se trouvait là les lignes fantastiques d’un paysage imaginaire ; un domestique lui apporta de l’eau, il mit le dessin de côté et se lava les mains en me disant : « Quand vous êtes entré chez moi, vous avez dû rencontrer le peintre Katz ; je ne le vois jamais sans éprouver du plaisir, du ravissement même ; il est ici comme il était à la villa Borghèse, et il semble apporter ici avec lui un fragment de ce ciel artistique de Rome et de son délicieux farniente ! Pendant qu’il est à Weimar, il faut que je mette en ordre mes dessins et m’en compose un petit album. En général nous parlons beaucoup trop. Nous devrions moins parler et plus dessiner. Pour moi, je voudrais me déshabituer absolument de la parole et ne parler qu’en dessins, comme la nature créatrice de toutes les formes. Ce figuier, ce petit serpent, ce cocon qui attend tranquillement l’avenir, étendu sur la fenêtre, tous ces objets, ce sont des signes d’un sens profond ; oui, si nous pouvions bien déchiffrer seulement le sens de ces objets, nous pourrions bien vite nous passer de tout ce qui est écrit et de tout ce qui se dit ! Plus j’y réfléchis, plus je le sens vivement ; il y a dans la parole quelque chose de si oiseux, de si vain, je dirais presque de si présomptueux, que lorsqu’on se trouve avec pleine conscience de soi-même dans une solitude, perdu au milieu d’antiques