Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/460

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— « Ah ! voilà les cocons ; eh bien, n’avez vous encore rien vu ? » — « Je les ai mis de côté pour que tu les prennes. Regardez, je vous en prie, me dit-il, en les mettant à son oreille, comme cela frappe, comme cela tressaille et cherche à entrer dans la vie ? Quelle merveille que ces changements de la nature, si dans la nature le merveilleux n’était pas ce qu’il y a de plus commun ! Nous ne priverons pas notre ami de ce spectacle. Demain ou après-demain, le bel oiseau sera là, et d’une beauté, d’une séduction que vous avez rarement vues. Je connais cette chrysalide, et je vous invite pour demain à la même heure, si vous voulez voir une chose plus curieuse que toutes les curiosités que Kotzebue a vues dans son curieux voyage à Tobolsk[1]. Ici, au soleil, sur une fenêtre du pavillon du jardin, plaçons la boîte où notre belle sylphide travaille si bien pour demain ! Bien ! reste là, mon bel enfant ! Dans ce petit coin, personne ne t’empêchera de terminer ta toilette. » — « Mais cette vilaine bête, dit madame de Goethe en jetant de côté un léger coup d’œil au serpent, comment peut-on la souffrir à côté de soi, et la nourrir de sa main ! C’est une créature si désagréable ! sa vue seule me fait frissonner ! » — « Silence ! » dit Goethe, quoiqu’il aimât assez, avec sa nature tranquille, la vivacité mobile de sa belle fille ; et, se tournant vers moi, il continua : « Oui, si le serpent voulait bien pour elle se mettre dans un cocon et se transformer en un beau papillon, alors on ne parlerait plus de frissonner ! Mais, chère enfant, nous ne pouvons pas tous être papillons, nous ne pouvons pas tous être des figuiers tout

  1. Kotzebue avait publié le récit de son voyage en Sibérie, ouvrage excessivement long et absolument vide. Goethe s’étonnait qu’il fût possible d’aller aussi loin et de voir si peu de chose.