Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/469

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un élan puissant. Ce moine d’un esprit profond, aussi éloigné de la superstition que de l’incrédulité, a tout conçu, sinon tout réalisé. Il a vu briller devant lui la magie entière de la nature, en prenant le mot dans sa plus belle expression. Il a vu tous les progrès futurs, et a fait pressentir les destinées futures de son peuple. — Mais toi, jeune peuple Allemand, continua Goethe avec enthousiasme, ne te lasse pas de marcher dans la voie que nous avons heureusement embrassée ! Ne t’abandonne à aucune manière, à aucune vue étroite d’aucun genre, sous quelque nom quelle paraisse. Sachez-le bien, tout ce qui nous sépare de la nature est faux ; sur le chemin de la nature, vous rencontrerez ensemble et Bacon, et Homère, et Shakspeare. Que d’œuvres à accomplir partout ! Mais, voyez avec vos yeux, entendez avec vos oreilles ! — Ne vous inquiétez pas de vos adversaires ! Dans votre œuvre, associez-vous à des amis qui pensent comme vous ; quant aux hommes qui n’ont pas votre nature, et avec lesquels vous n’avez rien à faire, imitez-moi, ne perdez pas une heure avec eux ! Ces discussions sont à peu près stériles : elles tourmentent, et à la fin, il n’en reste rien. Au contraire, l’amitié avec des hommes qui ont nos manières de voir est féconde. Ainsi dans le premier volume des Idées sur la philosophie de l’histoire de l’humanité, de Herder, il y a beaucoup d’idées de moi[1], surtout au commencement ; nous causions souvent de ces sujets ; j’avais pour l’observation de la nature plus de penchant que Herder, qui voulait trop

  1. Goethe a travaillé tour à tour aux plus belles œuvres de Lavater, de Schiller et de Herder. Ces trois grands écrivains qui, de leur vivant, ont vécu assez séparés, se sont au moins réunis pour reconnaître la supériorité de Goethe et lui demander le secours de son puissant et universel génie.