Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/61

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la maison, passer et repasser. Je vis aussi un des beaux enfants d’Ottilie, qui s’approcha sans défiance de moi et me regarda avec de grands yeux. Après ce premier coup d’œil, je montai au premier étage avec le domestique, dont la langue était toujours en mouvement. Il ouvrit la porte d’une pièce, sur le seuil de laquelle on lisait en passant le mot Salve, présage d’un accueil amical. Nous traversâmes cette chambre, et nous entrâmes dans une seconde, un peu plus spacieuse, où il me pria d’attendre, pendant qu’il allait prévenir son maître. La température de cette pièce ranimait par sa très-grande fraîcheur ; un tapis couvrait le sol ; la couleur rouge du canapé et des chaises donnait de la gaieté à l’ameublement ; sur un côté était un piano, et aux murs étaient suspendus des dessins et des tableaux de genres divers et de différentes grandeurs. Une porte ouverte laissait voir une autre chambre également ornée de tableaux, et par laquelle le domestique était allé m’annoncer.

Goethe, en redingote bleue et en souliers, entra peu de moments après. — Noble figure ! J’étais saisi, mais les paroles les plus amicales dissipèrent aussitôt mon embarras. Nous nous assîmes sur le sofa. Le bonheur de le voir, d’être près de lui, me troublait, je ne savais presque rien ou rien lui dire.

Il se mit aussitôt à me parler de mon manuscrit[1]. « Je sors d’avec vous, dit-il ; toute la matinée j’ai lu

  1. Le manuscrit de l’Essai sur la poésie, qu’Eckermann avait envoyé à Goethe pour qu’il l’examinât et le recommandât à un éditeur, s’il le jugeait digne de l’impression. Dans ce petit livre, Goethe est comparé en détail et enfin égalé à Homère et à Shakspeare. Ces conclusions d’Eckermann sont celles de la critique allemande contemporaine. On comprend facilement qu’elles n’aient pas dès lors déplu à Goethe.