Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/62

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votre écrit, il n’a besoin d’aucune recommandation, il se recommande de lui-même. » Il me dit que les pensées y étaient claires, bien exposées, bien enchaînées, que l’ensemble reposait sur une base solide, et avait été médité avec soin. « Je veux l’expédier vite, ajouta-t-il ; aujourd’hui j’écris à Cotta par le courrier, et demain j’envoie le paquet par la poste. »

Nous parlâmes de mes projets de voyage. Je ne pouvais me rassasier de regarder les traits puissants de ce visage bruni, riche en replis dont chacun avait son expression, et dans tous se lisaient la loyauté, la solidité, avec tant de calme et de grandeur ! Il parlait avec lenteur, sans se presser, comme on se figure que doit parler un vieux roi. On voyait qu’il a en lui-même son point d’appui et qu’il est au-dessus de l’éloge ou du blâme. Je ressentais près de lui un bien-être inexprimable ; j’éprouvais ce calme que peut éprouver l’homme qui, après longue fatigue et longue espérance, voit enfin exaucés ses vœux les plus chers. Il me parla de ma lettre, et me dit que j’avais raison en soutenant que, si un homme a su traiter avec clarté un certain sujet, il a prouvé par là qu’il pouvait se distinguer dans beaucoup d’autres occasions toutes différentes. « On ne peut pas savoir comment les choses tourneront, dit-il ; à Berlin, j’ai beaucoup de belles connaissances ; nous verrons ; j’ai pensé à vous ces jours-ci. » Et, en parlant ainsi, il souriait en lui-même d’un air affectueux. Il m’indiqua toutes les curiosités que j’avais encore à visiter à Weimar, et me dit qu’il prierait son secrétaire, M. Krœuter, de vouloir bien me conduire partout. Mais surtout il me recommanda de ne pas manquer d’aller au théâtre. Nous nous séparâmes très-amicalement. J’étais on ne peut plus heureux, car chacune de