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plus ardent désir de connaître cette poésie, mais j’avais naturellement hésité à prier Goethe de me la montrer. On jugera combien je m’estimai heureux quand je la tins sous mes yeux. Goethe avait écrit lui-même ces vers en lettres latines sur du vélin, et les avait attachés avec un ruban de soie dans un carton couvert de maroquin rouge[1]. Ces soins extérieurs prouvaient que Goethe regarde ce manuscrit avec plus de faveur qu’aucun autre. Je le lus avec une joie profonde, et chaque ligne confirmait les bruits dont j’ai parlé ; cependant les premiers vers faisaient voir que la connaissance n’avait pas été faite cette année, mais renouvelée. Le poëte tournait sans cesse autour d’une même idée et semblait toujours comme revenir à son point de départ ; la conclusion, brisée d’une manière étrange, produisait un effet extraordinaire et saisissait vivement. Lorsque j’eus fini de lire, Goethe revint vers moi : — « Eh bien ! n’est-ce pas, me dit-il, je vous ai montré là quelque chose de bon. Dans quelques jours vous me tirerez vos présages là-dessus. » — Je fus enchanté que Goethe par ces paroles me détournât d’un jugement improvisé, car mes impressions étaient trop nouvelles et trop passagères pour que je pusse exprimer une opinion d’une façon convenable. Goethe me promit de me redonner encore la poésie plus tard, dans un moment plus tranquille.

L’heure du spectacle était arrivée, je le quittai en lui serrant affectueusement la main.

  1. On le conserve à la bibliothèque de Weimar, avec d’autres reliques de Goethe plus ou moins curieuses. On voit là, entre autres choses, son habit brodé, remarquable par la modestie de sa broderie, et sa robe de chambre, garnie d’une ouate qui diminue peu à peu, chaque dévot de Goethe en arrachant et en emportant quelques brins, comme souvenir de son pèlerinage à la ville sainte de la poésie allemande.