Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/112

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ce qui me convient ; cela laisse à ma nature pleine liberté pour agir et créer.

Nous parlâmes des lettres de Schiller, de la vie qu’ils ont menée ensemble et des travaux qu’ils s’excitaient mutuellement chaque jour à entreprendre. — « Schiller, dis-je, paraissait prendre aussi un grand intérêt au Faust ; il est beau de le voir vous pousser, et on aime à le voir aussi se laisser aller lui-même à chercher la suite du poëme. J’ai remarqué qu’il y avait dans sa nature quelque chose de précipité. »

« — Vous avez raison, dit Goethe, c’est ainsi qu’il était ; du reste comme tous les hommes trop soumis à leur idée seule. Il n’avait aucun repos et ne pouvait jamais finir, comme vous le voyez dans les lettres sur Wilhelm Meister, qu’il veut voir tantôt d’une façon, tantôt d’une autre. J’avais toujours à prendre garde pour rester ferme et préserver mes écrits comme les siens de pareilles influences. »

Ce matin, dis-je, j’ai lu avec admiration son Chant de deuil du Nadoessis[1] — « Vous voyez quel grand artiste c’était que Schiller, et comme il savait bien aussi embrasser les objets extérieurs, quand il les recevait de la tradition. Certes, ce poëme est un de ses meilleurs et je voudrais seulement qu’il en eût fait une douzaine de ce genre. Mais pouvez-vous croire que ses plus proches amis le blâmaient de cette poésie, parce que, disaient-ils, elle n’était pas empreinte de son idéalisme ! Oui, mon bon, on a eu à souffrir de ses amis ! Humboldt blâmait bien

  1. Schiller dans ce poëme, s’est contenté, comme Goethe l’a fait si souvent, de donner une forme artistique accomplie à un chant populaire. Kœrner ne trouvait à blâmer que le rhythme, qui, selon sa juste remarque, aurait dû être nouveau et étrange, comme les sentiments et les pensées.