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Capo d’Istria ne restera pas longtemps à la tête des affaires de la Grèce, parce qu’il lui manque une qualité indispensable à une telle place : il n’est pas soldat. Nous n’avons pas d’exemple qu’un homme de cabinet ait pu organiser un État en révolution et se soumettre les soldats et les généraux. Le sabre au poing, à la tête d’une armée, on peut commander et donner des ordres, on peut être sûr que l’on sera obéi, mais, sans cela, c’est fort chanceux. Napoléon, s’il n’avait pas été soldat, n’aurait jamais pu s’élever au souverain pouvoir ; Capo d’Istria ne restera pas longtemps au premier rang ; très-prochainement il ne jouera plus qu’un rôle secondaire. Je vous annonce ce fait d’avance, et vous le verrez se réaliser, il est dans la nature des choses et ne peut manquer[1]. »

Goethe a parlé ensuite beaucoup des Français, surtout de Cousin, de Villemain et de Guizot. « Ces hommes ont une grande pénétration, une vue étendue et profonde, ils unissent une connaissance parfaite du passé à l’esprit du dix-neuvième siècle, et cette alliance fait vraiment des merveilles. »

De ces écrivains nous passons aux poètes français contemporains et à la signification des mots classique et romantique. — « J’ai trouvé une nouvelle expression, dit Goethe, qui peint assez bien ces deux idées. Je nomme le genre classique le genre sain et le genre romantique le genre malade. Ainsi, les Niebelungen sont classiques comme Homère, parce que tous deux sont sains, solides. — La plupart des modernes sont romantiques, non pas parce qu’ils sont récents, mais parce qu’ils sont

  1. Capo d’Istria avait été élu président le 2 avril 1827 ; il fut assassiné le 27 septembre 1831, quelques jours avant de résigner ses pouvoirs, devenus impuissants entre ses mains.