Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/121

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d’avoir aussitôt saisi le moyen le meilleur pour le renvoyer en silence hors de ce monde. »

Goethe m’a raconté qu’il était allé avant dîner au Belvédère, pour donner un coup d’œil à l’escalier de Coudray. Il le trouve très-bien. Il me dit en même temps qu’il avait reçu un gros morceau de bois pétrifié, qu’il voulait me montrer. — « Ces souches pétrifiées, me dit-il, forment à la terre comme une ceinture ; on les trouve jusqu’en Amérique, toujours à la hauteur du 51e degré. — Il faut tous les jours s’étonner davantage ! On n’a vraiment aucune idée de l’organisation primitive de la terre, et je ne peux m’empêcher de blâmer M. de Buch, qui veut endoctriner les hommes pour propager ses hypothèses. Il ne sait rien, personne ne sait rien de plus que lui ; aussi ce que l’on enseigne est parfaitement indifférent, pour peu que l’on ait une lueur d’intelligence. »

Nous parlâmes ensuite du Voyage en Italie, et Goethe me dit que dans une de ses lettres écrites en Italie il avait trouvé une chanson qu’il voulait me montrer. Il me pria de lui donner un paquet de papiers placé en face de moi sur le pupitre. Je le lui donnai ; c’étaient ses lettres d’Italie ; il chercha la poésie et lut :

Cupidon, enfant effronté et entêté, tu m’as prié de te loger quelques heures, combien de jours et de nuits es-tu resté ! Et maintenant te voilà devenu maître et seigneur dans la maison ; je suis chassé de ma large couche ; je reste étendu par terre, mes nuits sont pleines de tourments ; ta malice attise sans cesse la flamme du foyer, tu consumes les provisions d’hiver et dévastes mon pauvre logis. Tu as déplacé, dérangé tout mon ménage, je cherche, je suis comme un aveugle, je suis perdu, tu fais si maladroitement du tapage que je crains que la pauvre petite âme ne s’enfuie pour te fuir, et ne laisse la maison vide.

Cette poésie me fit un très-grand plaisir ; elle me paraissait tout à fait nouvelle. « Elle ne vous est pas étrangère, dit-il, car elle se trouve dans Claudine de Villa Bella ; c’est