Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/122

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Rugantino qui la chante. Mais je l’ai coupée, et on la lit sans s’y arrêter, sans en apercevoir le sens. Je la crois bonne cependant ! Elle exprime bien une certaine situation de l’âme et la métaphore se poursuit bien. — Elle est dans le genre d’Anacréon. Nous aurions dû faire réimprimer avec mes poésies cette chanson et les autres du même genre que renferment mes opéras ; les compositeurs les auraient eues réunies. » — Je trouvai l’idée bonne et j’en pris note pour l’avenir[1].

Goethe avait très-bien lu la poésie ; elle ne me sortait pas de l’esprit, et elle lui resta aussi dans la tête. Je l’entendis dire encore tout bas, comme en rêvant, les derniers vers :

Tu fais si maladroitement du tapage que je crains que la pauvre petite âme ne s’enfuie pour te fuir, et ne laisse la maison vide.

Il me parla d’un nouveau livre sur Napoléon, écrit par un ami d’enfance du héros[2] et qui renferme les renseignements les plus curieux. — « Le livre, dit-il, est très-froid, écrit sans enthousiasme, mais on voit quel grand caractère possède le vrai, quand on ose le dire. » Goethe m’a parlé aussi de la tragédie d’un jeune poëte : « C’est une œuvre pathologique, dit-il ; dans certaines parties, la sève est arrivée trop abondante ; dans d’autres, où elle était nécessaire, elle manque. C’était un bon sujet, très-bon, mais les scènes que j’attendais étaient absentes, et d’autres que je n’attendais pas étaient soignées, écrites avec amour. Je pense que c’est une œuvre pathologique ou romantique, comme vous voudrez, vous savez, d’après notre nouvelle désignation. »

  1. Pour l’édition des œuvres de Goethe.
  2. Bourrienne ; ses Mémoires ont paru de 1829 à 1831.