Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/124

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Il y eut un moment de silence, puis Goethe me donna des détails sur la nouvelle histoire de Napoléon qu’il lisait. — « La puissance du vrai est grande, dit-il. L’auréole, l’illusion que les journalistes, les historiens et les poëtes ont répandues autour de Napoléon disparaissent devant l’implacable réalité de ce livre ; mais le héros n’en est pas diminué, au contraire ; il grandit, à mesure qu’il devient plus vrai. »

« — Il fallait, dis-je, qu’il y eût en lui quelque puissance enchanteresse, pour que les hommes s’attachassent tout de suite à lui et se laissassent conduire. »

« — Certes, dit Goethe, c’était un être d’un ordre supérieur. — Mais la cause principale de cette puissance, c’est que les hommes étaient sûrs, sous ses ordres, d’arriver à leur but. Voilà pourquoi ils se rapprochaient de lui comme de quiconque leur inspirera une certitude pareille. Est-ce que les acteurs ne recherchent pas un nouveau régisseur qu’ils croient devoir leur donner de bons rôles ? — C’est une vieille histoire qui se répète toujours ; la nature humaine est ainsi faite : personne ne sert autrui pour rien ; sait-on que l’on se sert à soi-même, alors on sert volontiers. Napoléon connaissait les hommes, et il savait se servir parfaitement bien de leurs faiblesses. »

La conversation se tourna sur Zelter. — « Vous savez, dit-il, que Zelter a reçu l’ordre de Prusse. Mais il n’avait pas d’armes ; il a une nombreuse postérité, par conséquent l’espérance d’une descendance lointaine. Il lui fallait donc des armes, et un commencement de blason qui lui fît honneur. J’ai eu la plaisante idée de lui donner son blason. Je lui écrivis mon idée, il l’accepta avec plaisir, mais il me dit qu’il voulait avoir un cheval. « Bon ! dis-je, tu auras ton cheval, mais ce sera un cheval