Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/137

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

devait payer pour la restauration des tableaux. Le trait est très-joli. — En vrai prince, il avait établi le prix des restaurations mathématiquement, à la mesure et à la longueur. Les restaurations, disait-il, se compteront au pied. Ainsi, si un tableau restauré a douze pieds carrés, on payera douze thalers ; s’il en a quatre, on payera quatre thalers, etc. — C’était là une ordonnance de prince, mais non d’artiste ; car un tableau de douze pieds carrés peut être dans un état tel qu’on le restaurera facilement en un jour, et pour un autre tableau de quatre pieds, il faudra peut-être une semaine de travaux et de peines. Mais les princes, en leur qualité de bons militaires, aiment les décisions mathématiques, et, dans leur grandeur, ils agissent « avec poids et avec mesure[1]. »

Cette anecdote m’amusa beaucoup. Puis nous parlâmes d’art, et Goethe dit : « Je possède des dessins à la main, d’après des tableaux de Raphaël et du Dominiquin, à propos desquels Meyer m’a fait une observation intéressante que je veux vous communiquer. — Ces dessins, disait-il, trahissent une main peu exercée, mais on voit que celui qui les a faits avait un sentiment juste et délicat des tableaux qui étaient devant lui, et il l’a fait passer dans ses dessins, de telle façon qu’ils nous remettent fidèlement dans l’esprit l’original. Si un artiste de nos jours copiait ces tableaux, peut-être dessinerait-il beaucoup mieux et bien plus correctement ; mais il est à supposer qu’il lui manquerait ce sentiment vrai de l’original, et qu’ainsi son dessin, tout en étant meilleur, serait loin de nous donner une idée aussi parfaite de Raphaël et du Dominiquin. — N’est-ce pas là un joli aperçu ? On

  1. Genèse.