Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/15

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intérieure, son bonheur, son étoile, tout paraît l’avoir délaissé. »

« — Que voulez-vous ! répliqua Goethe. Je n’ai pas non plus fait deux fois mes chansons d’amour et mon Werther. Cette illumination divine, cause des œuvres extraordinaires, est toujours liée au temps de la jeunesse et de la fécondité. Napoléon, en effet, a été un des hommes les plus féconds qui aient jamais vécu. Oui, oui, mon bon, ce n’est pas seulement en faisant des poésies et des pièces de théâtre que l’on est fécond ; il y a aussi une fécondité d’actions qui en maintes circonstances est la première de toutes. Le médecin lui-même, s’il veut donner au malade une guérison vraie, cherche à être fécond à sa manière, sinon ses guérisons ne sont que des accidents heureux, et, dans leur ensemble, ses traitements ne valent rien. »

« Vous paraissez, dis-je, nommer fécondité ce que l’on nomme ordinairement génie. »

« Génie et fécondité sont deux choses très-voisines en effet. Car qu’est-ce que le génie, sinon une puissance de fécondité, grâce à laquelle naissent des œuvres qui peuvent se montrer avec honneur devant Dieu et devant la Nature, et qui, à cause de cela même, produisent des résultats et ont de la durée. Toutes les œuvres de Mozart sont de cette race ; elles ont en elles-mêmes une force fécondante dont l’action se prolonge de génération en génération, et qui ne peut être si vite ni épuisée, ni consumée. Il en est de même pour les autres grands compositeurs et artistes. Quelle action n’ont pas eu sur les siècles suivants Phidias et Raphaël, Durer et Holbein ! — Celui qui, le premier, a trouvé les formes et les proportions de la vieille architecture allemande, et a rendu