Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/160

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qu’aujourd’hui ; avec le temps mon esprit a acquis des idées plus claires sur les choses du monde. Je suis comme quelqu’un qui, dans sa jeunesse, a beaucoup de petite monnaie d’argent et de cuivre, qu’il a toujours changée avantageusement pendant tout le cours de sa vie, de telle sorte qu’il voit maintenant sa fortune de jeune homme tout entière changée en pièces d’or. »

Nous parlâmes du personnage du bachelier. — « Est-ce qu’il ne représente pas une certaine classe de philosophes idéalistes ? demandai-je. » — « Non, dit Goethe, il personnifie la présomption qui caractérise la jeunesse, et dont nous avons vu des exemples si frappants dans les premières années qui ont suivi notre guerre de la Délivrance. Tout jeune homme croit que le monde a commencé avec lui, et que rien n’existe que pour lui. Il y a eu vraiment en Orient un homme qui chaque matin rassemblait ses gens autour de lui, et ne les laissait pas aller au travail avant d’avoir ordonné au soleil de se lever. Mais il était assez prudent pour ne pas donner cet ordre avant que le soleil ne fût vraiment sur le point de se lever de lui-même. »

Nous parlâmes encore beaucoup sur Faust, sur sa composition, et sur beaucoup de sujets touchant ceux-ci. Goethe resta un instant enfoncé dans une méditation silencieuse, puis il dit : « Quand on est vieux, on contemple le monde bien autrement que lorsqu’on était jeune. Je ne peux pas me défendre de la pensée que les démons, pour taquiner et railler l’humanité, font apparaître de temps en temps des figures si attrayantes, que tout le monde cherche à les imiter, et si grandes, que personne ne peut les atteindre. Ils ont fait ainsi paraître Raphaël, chez qui l’acte et la pensée étaient également