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parfaits ; quelques-uns de ses excellents successeurs ont approché de lui, mais personne ne l’a atteint. En musique, l’être inaccessible qu’ils ont fait paraître, c’est Mozart. Dans la poésie, c’est Shakspeare. Je sais ce que vous pourriez me dire contre celui-ci, mais je ne pense qu’aux facultés naturelles, à la grandeur innée. Napoléon aussi est un être inaccessible. Il est très-important que les Russes ne soient pas allés à Constantinople, mais Napoléon lui-même a été obligé de se contenir comme les Russes, car il n’est pas allé à Rome… »

Il ajouta beaucoup de réflexions de ce genre sur ce riche thème, mais pour moi je pensais en silence que les démons pouvaient avoir eu aussi cette idée pour Goethe, qui lui-même est une figure trop séduisante pour qu’on ne cherche pas à l’atteindre, et trop grande pour qu’on puisse y réussir.

Dimanche, 6 décembre 1829.

Aujourd’hui, après dîner, Goethe m’a lu la seconde scène du second acte de Faust, lorsque Méphistophélès arrive chez Wagner, qui veut par des moyens chimiques créer un homme. L’œuvre réussit : l’Homunculus apparaît dans la fiole comme une lueur, et aussitôt il agit ; il écarte les questions que lui fait Wagner sur les choses incompréhensibles ; le raisonnement n’est pas son affaire ; il veut agir, et notre héros, Faust, est là, paralysé, ayant besoin d’un secours supérieur. — L’Homunculus, pour qui tout est transparent, voit dans l’âme de Faust endormi passer un beau songe ; c’est Léda au bain, visitée par le cygne ; les paroles que prononce l’Homunculus en apercevant ce songe de Faust nous présentent le plus ravissant tableau. Méphistophélès ne voit