Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/166

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sur la scène le grand carnaval. — « Il faudrait, dit Goethe, un très-grand théâtre ; c’est une représentation presque impossible. » — « J’espère pourtant la voir un jour, dis-je. J’aime surtout l’éléphant conduit par la Prudence, monté par la Victoire, et auprès duquel marchent enchaînées la Crainte et l’Espérance. Il n’y a guère d’allégorie plus belle que celle-là.

— « Ce ne serait pas le premier éléphant que l’on verrait sur la scène, dit Goethe. Il y en a un à Paris qui joue un rôle entier ; dans la pièce, il appartient à un parti populaire, on le voit enlever à un roi sa couronne et la placer sur une autre tête, ce qui doit produire vraiment un effet grandiose. Et à la fin de la pièce, si l’éléphant est rappelé, il paraît seul, fait sa révérence et se retire. Vous voyez donc que nous pourrions dans notre mascarade compter sur l’éléphant. Mais l’ensemble est trop considérable et demande un régisseur comme il n’y en a guère. »

« — Oui, dis-je, mais il y a dans ce spectacle tant d’éclat, tant d’effet, qu’un théâtre ne s’en privera pas facilement. Comme tout se développe et grandit peu à peu ! D’abord de beaux groupes de jardinières et de jardiniers qui ornent la scène et forment une masse de spectateurs pour les autres personnages qui doivent arriver. Puis, après l’éléphant, le char traîné par des dragons qui s’avance à travers les airs ; puis le grand Pan, et enfin l’incendie que viennent éteindre des nuages ! Si tout pouvait se représenter comme l’imagination se le représente, le public ravi d’enthousiasme serait forcé d’avouer qu’il n’a pas l’esprit et les facultés nécessaires pour accueillir dignement de pareils tableaux. »