Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/183

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Je cherchai à expliquer cette difficulté, en faisant remarquer que Bentham, convaincu de l’excellence de sa doctrine et de sa législation, et dans l’impossibilité de l’introduire en Angleterre, sans un changement complet du système actuel, s’était laissé emporter par son zèle passionné, d’autant plus facilement qu’il avait peu de contact avec le monde extérieur et ne pouvait pas juger des dangers d’un violent bouleversement. — Au contraire, Dumont, qui a moins de passion et plus de clarté, n’a jamais approuvé la roideur excessive de Bentham, et il ne s’est pas exposé à ses fautes. Il a eu de plus l’avantage d’appliquer les principes de Bentham dans un pays qui, par suite des événements politiques, pouvait être jusqu’à un certain point considéré comme un pays neuf ; aussi tout réussit à Genève, et tout servit à prouver l’excellence des principes de Bentham.

« Dumont, dit Goethe, est un libéral modéré, comme le sont et doivent l’être tous les gens intelligents, comme moi-même je le suis et me suis efforcé de l’être dans tout les actes de ma longue existence. Le vrai libéral cherche à faire toujours autant de bien qu’il peut avec les moyens dont il dispose ; il a bien garde de vouloir employer tout de suite le feu et l’épée pour exterminer des abus souvent inévitables. Il cherche, par un progrès prudent, à corriger peu à peu les imperfections de la société, sans ces mesures violentes qui souvent détruisent autant de bien qu’elles en amènent. Dans ce monde toujours imparfait, il se contente du bien jusqu’à ce que le temps et les circonstances lui permettent de réaliser le mieux. »

Pendant le dîner, nous avons causé de Mozart. « Je l’ai vu quand il n’était qu’un enfant de sept ans, dit Goethe. Il voyageait et donnait un concert. J’avais moi-