Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/190

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« E vero, e vero, » s’écriait Polichinelle, revenant à lui-même, et il reprenait son jeu aux grands applaudissements des spectateurs. Ce théâtre de Polichinelle a une telle réputation, qu’aucune personne de la bonne compagnie ne se vante d’y être allé. Les femmes, comme on le pense bien, n’y vont pas ; les hommes seuls le fréquentent. Polichinelle est comme une espèce de journal vivant. On peut chaque soir entendre de lui tout ce qui s’est passé de frappant dans Naples. Ces intérêts locaux, et l’emploi du dialecte populaire, font qu’il est presque impossible à un étranger de le comprendre. »

Goethe rappela d’autres souvenirs de ses premiers temps. Il parla de son peu de confiance dans le papier-monnaie et des expériences qu’il avait faites à ce sujet. À leur appui il nous rappela une anecdote du temps de la Révolution, que lui avait racontée Grimm, lorsque celui-ci, ne se jugeant plus en sûreté à Paris, était retourné en Allemagne et vivait à Gotha. « Nous étions un jour à dîner chez lui, dit-il ; je ne sais plus à propos de quoi, Grimm s’écria tout à coup : Je parie qu’aucun monarque d’Europe n’a une paire de manchettes aussi chères que celles que je possède ! Naturellement nous tous, et surtout les dames, nous exprimâmes quelque surprise et quelque doute, et nous étions très-curieux de voir ces manchettes si merveilleuses. Grimm se leva et alla chercher dans son armoire une paire de manchettes d’une magnificence qui nous frappa d’admiration. Nous essayâmes de l’estimer ; nous ne pouvions y mettre plus de cent ou deux cents louis. Grimm se mit à rire et s’écria : Vous êtes loin de compte ! Je les ai payées trois cent mille francs, et j’ai encore été heureux d’avoir fait un si