Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/198

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jeunes amours avec Lili. Je l’aurais écrit et publié depuis longtemps, si je n’avais pas été arrêté par certaines considérations délicates qui touchaient, non pas moi-même, mais mon amie encore vivante alors. J’aurais été fier de dire au monde entier combien je l’avais aimée, et je crois qu’elle n’aurait pas rougi d’avouer que son cœur répondait au mien. Mais avais-je le droit de parler publiquement sans son aveu ? J’avais toujours l’intention de le lui demander ; j’ai différé jusqu’à ce qu’enfin cet aveu ne fût plus nécessaire. En me parlant avec tant d’éloges de l’aimable jeune fille qui nous quitte, vous réveillez en moi tous mes anciens souvenirs. Je vois de nouveau devant moi revivre tout entière la ravissante Lili, je crois sentir encore le bonheur que je respirais avec l’air qui l’entourait. C’était la première que j’aimais vraiment du fond de l’âme. Je peux dire aussi qu’elle a été la dernière, car les inclinations que j’ai senties plus tard, comparées à celle-là, étaient légères et superficielles. Je n’ai jamais été si près de mon bonheur que pendant le temps de mes amours avec Lili. Les obstacles qui nous séparaient n’étaient pas au fond insurmontables, cependant elle fut perdue pour moi. Mon inclination pour elle avait quelque chose de si délicat, de si particulier, que le souvenir de cette époque de souffrances et de bonheur a exercé de l’influence sur mon style. Quand vous lirez le quatrième volume de Vérité et poésie, vous trouverez que le récit de cet amour est tout différent des récits d’amour des romans. »

« — On peut faire la même observation, dis-je, pour vos amours avec Gretchen et Frédéricque. Ces deux peintures ont aussi une nouveauté et une originalité que des romanciers ne sauraient trouver. Ces mérites tiennent