Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/211

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Laissons cela, mon bon ! répondit Goethe. Le monde est absurde, il ne sait ce qu’il veut, il faut le laisser dire et faire ce qui lui plaît. Comment aurais-je pu prendre les armes sans haine ? Et comment aurais-je pu haïr sans jeunesse ? Si cet événement était arrivé dans ma vingtième année, je ne serais pas resté le dernier, mais j’avais déjà plus de soixante ans. D’ailleurs, nous ne pouvons pas tous servir notre pays de la même façon ; chacun fait de son mieux, suivant ce que Dieu lui a départi. Je me suis donné assez de tourments pendant un demi-siècle ; je peux dire que pour travailler à ce que la nature m’avait donné comme œuvre de mes jours, je ne me suis reposé ni jour ni nuit, je ne me suis permis aucune distraction, j’ai toujours marché en avant, toujours cherché, toujours agi aussi bien et autant que je pouvais. Si chacun peut dire de soi la même chose, alors tout ira bien. »

« Au fond, dis-je pour l’apaiser un peu, ce reproche ne devrait pas vous blesser, vous pourriez au contraire vous en enorgueillir un peu ; car, que signifie-t-il, sinon que le monde avait de vous une si haute opinion qu’il voulait que celui qui avait fait plus que tout autre pour le progrès de sa nation, que celui-là fit tout ? »

« Je ne peux pas dire ce que je pense, répondit Goethe : derrière ce verbiage se cache plus de mauvaise volonté contre moi que vous ne le savez. Je ressens là sous une nouvelle forme la vieille haine dont on me poursuit depuis des années, et qui cherche à s’approcher tout doucement

    ce délicieux recueil ? L’Allemagne a su se délivrer, et le poëte n’a pas maudit. Pendant la bataille de Leipzig, Goethe se plongea dans la littérature chinoise. Aux approches de la révolution de 1830, nous venons de le voir abandonner la lecture des journaux politiques et s’occuper de Faust. Dans sa lettre à Zelter citée plus haut, il a su très-bien expliquer et justifier cette méthode de diversion.