Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/215

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vous la promettre, ni vous la garantir ; vous êtes seul responsable de vos actes ; d’ailleurs, elle vous est inutile ; si vous étiez un jour sur le point de franchir les limites légales, votre éditeur, qui a l’expérience de ces matières, vous rappellera la devise : Noli me tangere, et un avis amical de lui vous empêchera d’aller trop loin. — Mais, avant de vous engager, si vous vous étiez ouvert à moi, et si vous m’aviez demandé mon avis, je vous aurais certainement détourné de votre projet, et je vous aurais exhorté fortement à ne pas quitter vos travaux d’érudition historique, ou plutôt à les reprendre, puisque vous vous êtes déjà occupé des affaires du jour, en écrivant un Manuel de Politique ; je vous aurais engagé à laisser le monde suivre sa marche et à ne pas vous mêler aux querelles des rois, car dans ces querelles, jamais votre voix ni la mienne ne seront écoutées. »

Ces paroles me surprirent beaucoup ; je me sentais blessé jusqu’au fond de l’âme ; je cherchais à me dominer autant que possible, cependant je ne pus m’empêcher de répondre ces quelques mots : « Je dois avouer que je suis presque heureux de n’avoir pas confié plus tôt mes projets à Votre Excellence. Malgré le respect que j’ai pour ses moindres paroles, malgré le bonheur que j’aurais à me trouver d’accord avec elle, je crois que cette fois j’aurais eu le regret de ne pas suivre son conseil, car si tant d’insultes, de hontes, si tant d’immenses malheurs sont tombés sur l’Allemagne, c’est justement parce que le bon Michel[1], jusqu’à présent, ne s’est occupé que de sa seule personne, n’a pensé qu’à ses petites manies routinières, se contentant de manger bien tranquille-

  1. C’est le Jacques Bonhomme allemand.